Un sujet à débat
Les 35 heures : pas pour nous
Un Directeur Général des Services nous écrit « … Ainsi, un agent sur 20H semaine doit 15 heures de préparation. …/…» Notre réponse a été courtoise : « Ne voyez en notre commentaire, qui va suivre, aucune agressivité. Nous comprenons aisément votre raisonnement, mais nous sommes obligés de contester la valeur juridique de cette affirmation, qui fait référence aux 1607 heures annuelles et aux 35 heures de service hebdomadaire, 35 heures que les agents territoriaux doivent effectivement effectuer… sauf ceux soumis à des statuts particuliers ! »
Jurisprudence du Tribunal Administratif de Lille (Commune de Faches-Thumesnil)
Jurisprudence du Conseil d’État (Commune de Ludres)
ARTT : pas pour nous
Hélas, notre profession a été exclue des négociations et dispositions propres à l’aménagement et à la réduction du temps de travail. Motif : nos statuts particuliers en rendaient soi-disant l’usage impossible.
L’équité : pas pour nous
C’est une première entorse à l’équité, en notre défaveur, réalisée par le législateur. Qui n’a pas souhaité abaisser notre temps hebdomadaire de service, lors du passage aux 39 heures. Ni lors du passage aux 35 heures, alors que tous les salariés du privé et agents publics en ont profité. Aucun aménagement, donc, pour nous, et surtout, aucune réduction. Nous militons, tout comme les DGS et DRH, en faveur de l’équité pour les différents cadres d’emplois : pouvons-nous obliger le législateur à « revoir sa copie » à ce sujet ?
Les temps de préparation et de suivi des élèves
Au passage, les agents du cadre d’emploi d’ATSEA (Assistant territorial spécialisé d’enseignement artistique) aimeraient bien, et sont vraiment unanimes à le dire, n’avoir que 15 heures de préparation, de suivi pédagogique, et de travail personnel à effectuer pour 20 heures de face à face pédagogique. De même, les agents du cadre d’emploi de PEA (Professeur territorial d’enseignement artistique) souhaiteraient n’avoir à effectuer que 19 heures par semaine au titre de la préparation et du suivi des étudiants de leurs cours. Tous dépassent allègrement ce volume horaire, comme vous le constaterez au fil de ces pages. De même pour les nombreux enseignants qui sont directeurs d’établissement.
Une heure de cours égale trois heures de travail
Puisque le débat porte sur l’équité entre filières, cadres d’emplois… et la parité entre fonctions publiques, nous invitons le lecteur à consulter l’Arrêté ministériel de l’Éducation Nationale, qui disposait que « une heure de cours équivaut à trois heures de travail » (Arrêté du 29 avril 1981 relatif à l’équivalence prise en compte pour la détermination de la durée du travail JO 08-05-1981 p. 1295 ) En décembre de la même année, un Arrêté ministériel des collectivités territoriales reprenait mot pour mot les mêmes dispositions, cette fois-ci à l’usage des enseignants de la FPT…
Des différences sensibles constatées entre collectivités
Si ce principe de parité entre fonctions publiques, et d’équité entre filières et cadres d’emplois doit être retenu comme un élément déterminant dans ce débat, ce que nous ne contestons pas, il convient alors de l’appliquer aussi à toutes les collectivités. Or, là aussi, il existe de grandes disparités entre les communes ou communautés de communes, et cela induit un dysfonctionnement, car de très nombreux enseignants interviennent, chaque semaine, dans deux, trois ou quatre établissements publics.
Disparités entre collectivités pour le temps de travail et les congés
Des exemples parmi tant d’autres à notre disposition, prouvent que les collectivités n’ont pas toutes le même avis à propos du temps de travail des enseignants, mais aussi à propos de leurs droits à congés. Nombreuses sont les collectivités qui inscrivent dans des règlements intérieurs que leur établissement d’enseignement artistique sera ouvert selon les périodes d’activité de l’Éducation Nationale. Elles font référence au calendrier des congés scolaires. Cette disposition apparaît indispensable, ne serait-ce que pour permettre le travail en commun des enseignants de l’éducation nationale avec les enseignants des collectivités, dans les « Classes à horaires aménagés musique ». Le même dispositif est retenu pour les Musiciens intervenants en milieu scolaire, qui ne peuvent travailler pendant les congés scolaires.
Nécessité des congés scolaires
C’est pourquoi il y a des congés identiques avec l’Éducation Nationale, pour les enseignants territoriaux, dans la très grande majorité des collectivités. Et ce n’est pas le seul usage qui est en cause ici, c’est bien la nature même des missions qui l’exige. Les enseignants territoriaux participent aux missions de l’enseignement artistique spécialisé, réglementé par le Code de l’Éducation.
Respect des missions
Les décrets portant dispositions statutaires des cadres d’emploi des enseignants spécialisés précisent la nature de leurs missions, les conditions d’accès et diplômes nécessaires. Leurs missions sont de toute évidence différentes de celles des enseignants de l’Éducation Nationale, mais aussi de celles des Musiciens intervenants en milieu scolaire, et surtout de celles concernant les cadres d’emploi de l’animation. Il est très regrettable que quelques DGS ou DRH réussissent à gommer ces différences fondamentales, prévues par le législateurs, ici ou là, dans quelques collectivités, dans lesquelles le respect des décrets n’est probablement pas la priorité.
Exemples à suivre
Cependant, certaines collectivités sont heureusement soucieuses de respecter les missions des enseignants artistiques. Elles ont intégré dans leur conception du temps de travail les notions de préparation de cours, de suivi et d’orientation des élèves, réunions pédagogiques, relations avec les parents, auditions internes et externes à l’établissement d’enseignement.
Une heure de cours nécessite combien de temps de travail en tout ?
Par exemple, dès juin 2001, une collectivité située dans le Gard a produit un Arrêté municipal d’aménagement et de réduction du temps de travail à destination des enseignants artistiques de la commune. Il est acquis que 1 h de cours induisent 2 h ou 2 h 30 de travail effectif, selon les classes, et que les enseignants travaillent en respect du calendrier scolaire de l’éducation nationale.
Dans cette commune, leur temps complet de service hebdomadaire est de 18 h 30. Grâce à cette mise en place de l’ARTT, il y a une réelle parité avec les temps de travail des enseignants de l’éducation nationale. Mais nous sommes encore loin d’une heure de cours induisant deux heures de préparation et de suivi. De ce fait, les 35 heures seraient pour nous bienvenues, puisqu’entre le temps de face à face pédagogique et celui consacré à l’orientation et au suivi pédagogique, nous estimons collectivement que notre temps de travail hebdomadaire dépasse allègrement les 35 heures. Si nous devions préparer nos cours et effectuer le suivi de nos étudiants et élèves dans nos conservatoires et écoles de musique, en plus de donner les cours, dans les mêmes locaux, il reviendrait aux élus et DGS de nous doter de locaux supplémentaires appropriés, et du matériel professionnel indispensable. Au niveau de l’adaptation des locaux à cette nouvelle exigence, de la soumission à un nouvel emploi du temps quotidien, c’est une toute autre organisation de la vie des établissements qu’il faut reconsidérer. Pour les petites écoles municipales – elles aussi soumises aux statuts et décrets de la FPT – nous pouvons imaginer que les adaptations ne seraient pas insurmontables, malgré le budget municipal peu élevé. Cependant, c’est une autre dimension pour les conservatoires à rayonnement régional ou départemental, qui emploient entre 25 et 150, ou plus de 200 enseignants… Or, la taille des établissements des villes moyennes n’a cessé de croitre, avec l’intercommunalité. Il n’est maintenant pas rare que plusieurs établissements d’enseignement public, autrefois de petite taille, et isolés, soient regroupés. Le nouvel établissement compte alors entre 800 et 1200 élèves, et là aussi, le nombre d’enseignants dépasse la centaine. Si tous les enseignants devaient être dans l’obligation de travailler quasiment 11 mois sur 12 pendant 35 heures hebdomadaires, nous ne doutons pas un seul instant que cela nécessiterait de la part des collectivités une réorganisation en profondeur des infrastructures et du fonctionnement. Et de toute évidence l’octroi de budgets supplémentaires !
Le principe de parité entre fonctions publiques
Il est certain que, en respect du principe de parité – et non d’équité – entre fonctions publiques, les cadres d’emploi de l’éducation nationale ont été utilisés comme modèle pour créer les décrets portants dispositions statutaires des PEA et ATSEA. La preuve juridique en est apportée par le calcul des HSE (heure supplémentaire effective).
Lien vers : Régime indemnitaire EAS
Apparition du chiffre 36
« En cas de service supplémentaire irrégulier, chaque heure supplémentaire effective (HSE) est rémunérée sur la base majorée de 25 % de 1/36ème, de l’indemnité annuelle considérée au-delà de la première heure (c’est-à-dire sans la majoration de 20%). Soit: (montant annuel + 25%) / 36) »
Ce calcul se réfère à 36 semaines de service par an, en relation avec la durée des congés scolaires. Ici, au moins, il y a bien équité entre les différents enseignants d’une fonction publique à l’autre. Une référence aux congés scolaires difficilement contestable, tant les chiffres sont têtus, mais juridiquement insuffisante pour modifier les droits à congés des enseignants artistiques : une « insuffisance juridique » qui ne laisse personne indifférent… sauf les législateurs, qui ne veulent pas en entendre parler !
A propos des 36 semaines de service, qui se réfèrent au calendrier scolaire, si certaines collectivités devaient nous contraindre à travailler au delà, elles seront dans l’impossibilité d’appliquer le calcul des HSE prévu par le législateur, calcul qui deviendrait faux.
Nous sommes déjà annualisés et lissés
De plus, en 1966, le temps de service hebdomadaire des Professeurs d’enseignement artistique a été augmenté de 25%, il est passé de 12 H à 16 H, ceci sans aucune compensation de rémunération, pour préserver les congés scolaires. On le voit, notre profession ne cesse de subir une hausse du temps de service pour le même motif ; nous avons déjà payé très cher ces congés, qui provoquent tant de jalousies…
Temps non complets
Pour les DGS et DRH, il y a une autre difficulté à résoudre, concernant les nombreux agents à temps non complet travaillant dans plusieurs collectivités. Le Décret du 20 mars 1991 précise que c’est à l’employeur principal de décider quelles périodes de congés sont attribuées à l’agent. Si l’employeur principal se réfère au calendrier scolaire, les employeurs secondaires devront aussi s’y référer, de gré ou de force…
35 semaines de travail dans le privé et pas de 35 heures non plus
Enfin, pour rappel, la Convention Collective Nationale 3246 dispose que la période de travail des enseignants artistiques est de 35 semaines… Une disposition qu’il serait bon d’intégrer dans les décrets de la FPT.
Équité entre agents : le matériel professionnel
Étudions maintenant de près l’équité entre filières et cadres d’emplois au sein de la FPT. Premier constat, les enseignants artistiques mettent à disposition du service, pour son bon fonctionnement, leurs instruments de musique personnels, à défaut de pouvoir utiliser ceux fournis par leur employeur.
Un collègue violoncelliste évoque son instrument, signé d’un maître luthier, d’une valeur d’environ 18.000 euros. Un autre collègue montre à son employeur une expertise datant de février 2011, certifiant que son violon allemand 18ème « peut être estimé à une valeur de remplacement de 12.000 €. » Il possède un autre violon, d’une valeur équivalente, et un clavecin, qu’il transporte et prête gracieusement au Conservatoire pour certains concerts pédagogiques. Un devis, du même luthier, pour la même date, fait état d’une remise en état d’un montant de 390 €. Il s’agit tout simplement du nettoyage d’un violon, de « graissage des chevilles » de réglages et de changement de cordes : une opération courante. Un bon basson neuf coute, en 2011, entre 5000 € et 8000 €. Il faut le changer régulièrement.
Des instruments d’une telle valeur ne se louent pas, et ils doivent être entretenus avec un grand soin.
Il faut donc venir au travail avec un véhicule personnel. Il est indispensable aussi de payer une assurance personnelle spécifique pour un instrument de musique, notamment pour une utilisation dans le cadre professionnel, d’un montant d’environ 200 € pour 2011. Le tout sans aucun dédommagement d’aucune sorte de la part de l’employeur.
Au sujet de l’achat des instruments et de leur entretien, de l’assurance, l’équité s’applique entre les musiciens sur tout le territoire : s’ils n’achètent pas d’instrument personnel, adieu les études poussées, pas de diplômes, pas de travail ! Mais cette équité cesse très rapidement, dès lors qu’on devient agent d’une collectivité. Car il revient à chaque enseignant musicien, selon sa rémunération mensuelle, d’économiser, d’emprunter aux banques, d’acheter un instrument de musique de qualité professionnelle, puis d’honorer les échéances, sur de longues années. Avec des salaires de 1200 € nets par mois, c’est difficile.
Or nous savons tous que les collectivités emploient plus facilement un artiste enseignant (certifié ou diplômé d’état) en CDD à temps non complet, en début de carrière, qu’un enseignant fonctionnaire à temps complet, en milieu de carrière. Comme chacun sait, la rémunération de ces agents n’a rien de commun. Mais le prix des instruments est bien le même !
Le législateur a « soigneusement oublié » de régler la question des droits à congés, mais il a aussi « soigneusement oublié » de régler ce problème d’équité entre agents d’une même collectivité. Sans aucun doute, il est prévu que le matériel nécessaire au bon fonctionnement du service est fourni par la collectivité territoriale employeuse. Et c’est bien ce qu’elle fait pour les pianos et les percussions, mais jamais au grand jamais pour les autres instruments de musique. Les établissements disposant d’un parc instrumental loué aux élèves sont nombreux, mais les établissements disposant d’un parc instrumental dédié à tous les enseignants sans exception sont rares. Cela explique que tous les enseignants possèdent à domicile un instrument – parfois deux ou trois – et les apportent sur leur lieu de travail.
Nous sommes en tous points d’accord avec vous : à ce sujet, équité entre agents est mise à mal, dans toutes les collectivités qui gèrent un établissement enseignement musical. Il semblerait pourtant saugrenu de demander à un agent des services espaces verts de s’acheter sa camionnette et ses outils de jardiniers : nous ne militons pas en ce sens !
équité entre agents : documentation, archives, informatique
Autre constat problématique pour les artistes enseignants, l’accès à l’information écrite est inhérente à leur exercice professionnel. Pourtant, sans livres et revues, pas de bibliothèque municipale. Sans œuvres d’art, pas de musée. Sans ordinateurs, sans bureaux, sans archives, pas de services administratifs. Mais sans bibliothèques de partitions musicales dignes de ce nom, certains conservatoires fonctionnent quand même ! Comment est-ce possible ? La réponse est simple : les enseignants apportent au travail, chaque jour, s’ils ne les laissent pas sur place, leurs partitions personnelles, environ 200 par meuble, pour une valeur de 4000 euros environ. Sans aucune prime en contrepartie. Équité ?
Une de nos collègues, musicologue de haut niveau, diplômée de l’Université, raconte une histoire savoureuse, à propos des enregistrements audio gracieusement fournis par le conservatoire où elle travaille : achetés à bas prix, ces CD sont quasi inaudibles, tellement la prise de son et l’interprétation est nulle. Les élèves s’en plaignent régulièrement. A tel point que l’enseignante avait pris l’habitude d’apporter en cours de nombreux CD de sa discothèque personnelle, différents pour chaque classe… Comme tous ses collègues, elle en a plusieurs centaines à la maison : aucune indemnité n’est prévue à cet effet, pour pallier les insuffisances de l’employeur public. Elle a bien entendu demandé que la petite collection d’enregistrements de l’établissement soit réactualisée. Pas de réponse.
Où est l’équité avec les agents administratifs, qui utilisent – et nous en sommes contents pour eux – du matériel informatique et des logiciels régulièrement mis à jour ?
Équité entre agents : emplois à temps non complet
Contrairement à de certaines professions, les emplois à temps non complet sont majoritaires chez les enseignants artistiques. Cela induit de nombreuses contraintes, en terme de déplacements, de multiplicité des règlements, de directives de travail. Plus problématique encore, les imbroglios administratifs pour certains agents, qui sont fonctionnaires en catégorie A dans la collectivité X, fonctionnaires en catégorie B dans la collectivité Y, et en CDD sans référence au cadre d’emploi dans la collectivité Z ! Où est l’équité de traitement ?
Équité entre agents : le recrutement
Pour quel autre cadre d’emploi que le nôtre une collectivité territoriale oserait-elle recruter un agent pour une heure de service hebdomadaire, lors de sa première année de stage ? C’est pourtant ce qui est arrivé à l’une de nos déléguées syndicales, qui a été contrainte d’accepter, tellement le chemin de la titularisation est long et pénible… Même si le cas précédent est rare, il est par contre très fréquent d’être embauché pour deux heures trente, et certaines collectivité poussent l’audace à préciser parfois le temps de travail à la minute près, par exemple 1 h 45 de cours hebdomadaires ! Quelle conclusions en tirer ? Que nous aussi, agents de la fonction publique, devons regarder notre montre à la minute près pour arriver sur notre lieu de travail et le quitter ?
Équité entre agents : la titularisation
Notre profession a droit en plus au taux de titularisation le plus bas de toute la fonction publique territoriale. C’est bien le dossier le plus important auquel notre syndicat consacre son énergie. Nos études sont précises et fiables, et s’appuient sur des données issues des services administratifs des centaines de collectivités que nous avons interrogées à ce sujet. Les taux de fonctionnaires varient de 0% à 98%, avec un taux moyen de 55% pour les enseignants artistiques, si l’on prend en compte les établissements non classés par le Ministère de la culture et de la communication, ce dernier ayant donc logiquement des statistiques différentes. Une absence d’équité que nous invitons tous les agents publics à combattre à nos côtés.
Équité entre agents : les diplômes
Alors qu’un ingénieur voulant postuler au concours de la fonction publique territoriale, doit « seulement » obtenir un diplôme d’une école d’ingénieur – délivré au bout de cinq années d’études – les artistes enseignants artistique ne peuvent pas accéder, eux, à la fonction publique territoriale avec « seulement » un diplôme de Conservatoire ! Il leur faudra obtenir en plus un diplôme délivré par le MCC, le concours ne pouvant être présenté que si les cursus au Conservatoire sont terminés. Et comme si la situation n’était pas assez difficile comme cela… le MCC n’organise pas chaque année le diplôme qui correspond à chaque discipline ! Pour certains instruments (orgue, harpe) les concours sont organisés tous les 5, 7 ou 9 ans. Il existe plusieurs possibilités de formations, mais les places restent très limités en France. Il faut cependant compter en moyenne 10 années d’études pour faire le cursus obligatoire « amateur » de 3 cycles, puis effectuer encore 1 à 3 ans d’études en cycle pré-professionnel.
Résumons : pour un ingénieur, 5 ans d’études avec reconnaissance à Bac+5, et avec inscription sur liste d’aptitude automatique. Pour un Enseignant, dix à douze ans d’études avant le Bac, plus 3 ans d’études après le Bac pour obtenir sur concours le Diplôme d’État, plus encore un concours pour être inscrit sur liste d’aptitude. Le tout reconnu à Bac+2 ! Et on ose nous parler d’équité entre agents, avec un ton qui laisse à penser que nous serions responsables d’une fraude, parce que nous avons les congés scolaires !
Équité entre agents : les années d’études
Autre sujet brûlant, pour devenir Professeur ou Assistant territorial spécialisé d’enseignement artistique, il faut mener à son terme les dix à douze années d’études évoquées ci-dessus, en plus et en même temps que les études scolaires et supérieures… Quel autre cadre d’emploi est soumis à cette incroyable pression ? Incroyable, mais en terme d’équité, on fait encore beaucoup mieux, puisque nous l’avons vu, les « assistants » ne sont rémunérés que sur la base d’un Diplôme d’État reconnu à Bac + 2 (saura-t-on jamais pourquoi ce chiffre est si bas ? En référence aux trois années d’études des infirmières ou en référence à nos douze années d’études ?) Quel équité de rémunération y-a-t-il entre un autre agent territorial et un Professeur territorial chargé de direction, cependant tous deux considérés comme bac+7, selon le référentiel du système LMD ?
Équité entre agents : les contraintes d’emploi du temps
Parlons aussi d’équité à propos des contraintes d’emploi du temps. Dans le cadre des fonctions enseignantes, nous sommes tenus, en grande majorité, de venir travailler chaque jour à 16 h pour repartir à 21 h, quand ce n’est pas à 22 h. Pour certains enseignants, il faudra aussi venir travailler le samedi. Celà n’autorise pas l’utilisation des modes de transport en commun et du covoiturage… A cause de nos horaires décalés, notre vie familiale est bien différente de celle d’un rédacteur ou d’un technicien des espaces verts… Et nos temps libres, avant de venir travailler, sont en réalité souvent bien occupés par notre fonction professionnelle. Et les dimanches aussi parfois. Sans indemnité pour compenser cet inconfort.
Équité entre agents : notre seule compensation
Pourtant, nombre de sociologues qualifient d’essentiel le bon équilibre du couple et de la famille. La présence des deux parents pendant les heures de loisirs des enfants à la maison est selon eux primordiale. Il faudra donc revoir de près cette question, à l’occasion d’une éventuelle réforme des droits aux congés. Ce sera notre seule compensation, si nous perdons les congés scolaires, nous exigerons des horaires de travail plus favorables à la vie de famille. N’ayez crainte, nous serons persuasifs. Pour nombre d’entre nous, la famille passera bien avant le travail, si nous n’avons plus les congés scolaires : ce droit à la vie de famille sera notre seule compensation au peu de considération à notre égard, que nous subissons au quotidien.
Équité entre agents : changements de service et mutations
Parlons aussi d’équité à propos des mutations à l’intérieur de chaque collectivité. Dans tous les services sans exception, il arrive parfois que les relations avec le supérieur hiérarchique empoisonnent la vie de tous. Dans toutes les filières, certains agents trouvent une solution en demandant leur affectation dans un autre service ou en demandant une mutation dans une autre collectivité…
Mais pour les enseignants, bien rares sont les solutions, il n’y a qu’un seul conservatoire dans une seule ville, même à Bordeaux, Lyon ou Marseille. Alors que notre collègue du « service des marchés » a pu, à peine après quelques mois d’affectation, aller travailler au « service communication », ce qui n’a pourtant rien à voir. Il faudra bien, si nous devions revoir l’organisation du service d’enseignement artistique, que ce droit à mutation soit rétabli… ou compensé d’une manière ou d’une autre.
Autre absence d’équité à reconsidérer. Le passage au temps partiel, contrairement à tous les autres agents territoriaux, nécessite un délai de six mois, plus précisément avant le 31 mars de chaque année. Pour une année complète ou rien. Alors que nos collègues de la filière technique, par exemple, peuvent obtenir rapidement un temps partiel d’une durée comprise entre 6 mois et 1 ans…
Équité entre agents : autres dispositions
Parlerons-nous du Compte épargne temps ? Tous les autres agents ont droit à ce décompte. Pas nous ! Partir en voyage en dehors des périodes de vacances scolaires ? Impossible. Certes, on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Mais si vous supprimez le beurre, nous demanderons l’argent.
Parlerons-nous de la promotion interne ? Nous devons passer un examen professionnel, alors que nous sommes déjà bardés de diplômes ! Que dire de l’indemnité d’accueil réservée aux agents qui sont en contact avec le public ? Qu’elle n’est pas pour nous ! Alors que nous accueillons des enfants, des adolescents, des adultes, des parents d’élèves, quotidiennement. Certains parents assistent aux cours, c’est même parfois indispensable.
Nous devons donc souvent faire très attention aux premières minutes de l’entrée des élèves dans nos cours. Dans notre profession, l’accueil du public doit être particulièrement soigné. Nos collègues perçoivent une prime pour cela. Une prime que nous serions en droit d’obtenir, en vertu du principe d’équité qui nous est cher, comme aux DGS et DRH.
Évoquons un instant la question du petit matériel pour effectuer nos cours. Tous les enseignants affirment qu’ils apportent des piles neuves sur leur lieu de travail… lassés d’attendre des commandes… qui ne viennent jamais ! Nombreux sont ceux qui apportent leurs stylos, métronomes, accordeurs, posters, baguettes de percussions, casques audio, logiciels, clés USB. Mais ils apportent aussi du matériel encombrant : trois guitares à prêter aux jeunes enfants, dont une électrique…deux bassons, ou plusieurs flûtes, ou un cornet à piston, ou encore deux cartables pleins à craquer de partitions rares… La liste est longue, trop longue. De plus en plus d’enseignants avouent même apporter leur propre ordinateur ! Nous avons vu des machines de bureau à demeure dans les salles de classe… payées par les enseignants eux-mêmes !
Le temps de travail rémunéré… et celui qui ne l’est pas.
Notre enquête minutieuse prouve que 98% des enseignants travaillent plus que ce qui est inscrit sur leur CDD ou leur Arrêté de nomination, y compris les délégués syndicaux eux-mêmes. Alors, en cas de conflit sévère avec la collectivité, les jeunes enseignants tombent dans le piège, et reprochent au DGS ou DRH de ne jamais prendre en compte les heures supplémentaires nombreuses réalisées et non rémunérées… Réponse cinglante des DGS et DRH : « On ne vous a rien demandé ! »
C’est vrai. Sauf que la demande explicite s’exerce parfois avec une forte pression de la part du chef de service. Mais elle n’est effectivement jamais écrite… par souci d’équité ? N’empêche, le travail supplémentaire est fait et bien fait. Et il ne coûte jamais rien à l’employeur, qui ne met jamais bon ordre à ce qu’il faut bien nommer du « travail dissimulé »… Tous les enseignants sont passionnés par leur travail, et c’est bien cela qui perturbe le concept pourtant essentiel : « tout travail mérite salaire »
conscience professionnelle : trop c’est trop !
Les plus fous d’entre nous l’affirment et le font « Tant que l’employeur ne m’en demande pas trop, je suis prêt(e) à en faire 2 fois plus que mon bulletin de salaire ne l’indique ! »
En oubliant que si tous les enseignants d’un même établissement s’en tenaient à une gestion rigoureuse de leur emploi du temps, le chef de service serait bien obligé de reconnaître qu’il faut soit recruter, soit en faire moins.
Utilisant sans aucune gêne notre conscience professionnelle élevée, depuis 40 ans, les collectivités n’ont eu de cesse de nous en demander toujours plus. En 1975, deux auditions par an, une réunion pédagogique annuelle d’une heure. En 1985, nous étions déjà à 5 ou 6 auditions et 3 réunions annuelles. En 2005, certains conservatoires exigeaient la présence des enseignants à 12 réunions annuelles de trois heures, et le calendrier de l’établissement explosait avec 20 ou 30 auditions pédagogiques. On connait de grands établissements qui proposent plus de 60 auditions annuelles ! Pourquoi en est-on arrivé là ?
l’unanimité des enseignants
Alors, oui, si d’aventure, il fallait un jour travailler encore plus en perdant les congés scolaires, nous sommes tous unanimes : plus question de se lancer dans des projets pédagogiques à 60 heures par semaine, avec costumes, décors, lumière… Plus aucune réunion non rémunérée, et nous aurons les yeux rivés sur la montre et le bulletin de salaire. Un changement important en perspective : nous étions habitués à ne pas compter notre temps de travail, il faudra prendre l’habitude de tout noter au quart d’heure près. Les DGS seront contents.
Annualisation et lissage (bis)
Nous avons trouvé un texte qui affirme que les enseignants de l’éducation de nationale auraient subit l’annualisation du temps de travail et le lissage des rémunérations en 1946/1948. Leur salaire annuel aurait été divisé par 12 puis multiplié par 10. Deux mois de rémunération perdus à tout jamais. Ou si l’on préfère, «Vous gardez vos congés scolaires, mais ils ne seront plus payés.»
Lissage en 1946 (pdf)
Manque de chance pour nous, un inconnu affirme que les références données dans ce document sont fausses. Nous en convenons, puisque personne ne peut plus trouver le décret cité en référence. Au regard des sommes en jeu, cela ne nous surprend pas. Toutefois, cette fausse piste n’explique pas les niveaux de rémunération particulièrement bas, par rapport à notre formation initiale, particulièrement longue. Il faudra de toute façons retrouver plus d’équité dans le traitement des enseignants artistiques, par rapport aux autres salariés et fonctionnaires. Pour l’instant, les gouvernements successifs veulent tous faire croire au grand public qu’un être humain normalement constitué peut apprendre à jouer au niveau professionnel du piano, du violon, de la trompette ou de tout autre instrument de musique en trois ans d’études après le bac (payés bac+2), tout en suivant une formation au Diplôme d’État de professeur de musique, diplôme équivalent à celui que possèdent les infirmières ! Gloup. En comparaison, les bacheliers qui n’ont jamais fait la moindre étude juridique, deviennent des étudiants en droit heureux, qui tentent leur licence, trois ans après. Ils sont bel et bien en mesure de l’obtenir, à 60%
Article Le Monde du 12 mars 2012
Or, un étudiant en musique normalement constitué, travailleur, doué et investi à temps complet devra étudier 5, 6 ou 7 ans avant de tenter le Diplôme d’État. S’il l’obtient, cela restera une prouesse. Personne ne l’a jamais tenté en cinq ans, et probablement pas non plus en six.Tous les instrumentistes professionnels s’accordent pour le dire, s’ils n’avaient pas étudié la musique AVANT le bac, ils n’auraient jamais pu obtenir un D.E. en trois ans ! En réalité, les musiciens enseignants arrivent sur le marché du travail bien plus tard, même pour ceux qui ont commencé l’étude de leur instrument à six ou sept ans ! Cependant, nous restons à l’écoute de toute personne nous prouvant le contraire, à partir du moment où elle peut s’appuyer sur des preuves tangibles. Bon courage, bonne chance, et bienvenue au club.
La casse du service public
Cependant, nous faire travailler pendant les congés scolaires – sans missions nouvelles vraiment utiles à nous confier – est-ce bien le but final ? N’y-a-t-il pas plutôt quelques arrières pensées ? S’il faut casser définitivement le service public de l’enseignement artistique spécialisé, il y a un moyen vraiment très facile à mettre en place, invisible pour le public et les collectivités employeurs.
Il suffit que les enseignants cessent de travailler leur instrument, cessent d’exercer leur voix, ou leur corps pour les danseurs, à la maison, comme ils le font une douzaine d’heures par semaine, quand ce n’est pas plus…
Il ne faudra que quelques mois pour que les étudiants s’en plaignent, et leurs parents. Chacun le sait : si l’enseignant ne travaille plus chaque jour, avec discipline – c’est le mot utilisé aux concours de la FPT – ses muscles vont perdre en élasticité, les gestes seront lents, le souffle deviendra court, la précision laissera à désirer, la sonorité deviendra sourde et pâteuse, les fausses notes et les erreurs de lecture seront légion.
Pire, les élèves et les étudiants perdront tout intérêt à prendre des cours, avec ces enseignants qui joueront moins bien qu’eux. En quelques années, le paysage de l’enseignement musical en France serait définitivement changé. Est-ce cela que les élus, et administrateurs territoriaux veulent ?
Nous savons, et nous l’écrivons sans agressivité, que majoritairement, les élus, DGS et DRH ne savent que peu de chose des contraintes liées à nos fonctions.
Un métier méconnu
A l’occasion d’éventuelles réformes portant sur les droits à congés des enseignants, les DGS et DRH devront apprendre dans le détail ce qu’est l’exercice de la fonction enseignante. Ils devront aussi enfin prendre en compte nos contraintes spécifiques, en appliquant à la lettre les dispositions statutaires de la FPT, avec le souci d’équité qui les anime. Nous y veillerons.
Des réformes urgentes à apporter
- toutes les collectivités mettront à disposition des enseignants des instruments d’une qualité et d’une valeur équivalente à leurs instruments personnels ;
- toutes les collectivités rempliront nos bibliothèques de toutes les partitions nécessaires, même celles qui ne sont plus éditées depuis des années, celles qui ont tous les doigtés et annotations inestimables de nos anciens professeurs ;
- toutes les collectivités achèteront les enregistrements nécessaires, même ceux qui n’existent plus, les copies, les trouvailles et autres richesses de nos collections personnelles, dont profitent nos étudiants et élèves ;
- le gouvernement et toutes les collectivités prendront les dispositions nécessaires pour que le taux d’emploi à temps non complet et le taux d’agents titulaires soit le même dans l’enseignement artistique que dans la filière administrative, et ce à compter du 1er janvier 2012 ;
- en respect du principe d’équité, nos rémunérations seront adaptées à notre niveau d’étude. Donc, à compter du 1er janvier 2012, le Diplôme d’État de professeur de musique délivré par le Ministère de la culture et de la communication sera considéré comme un Master et le Certificat d’aptitude comme un Doctorat, dans le cadre de la nouvelle norme européenne d’équivalence ;
- les rythmes scolaires en France seront aménagés de telle sorte que nos élèves pourront venir en cours entre 14 h et 19 h du lundi au vendredi ;
- pour les changements d’affectation au sein du service, les enseignants auront les mêmes chances de mutation interne que n’importe quel autre agent territorial ;
- le temps partiel et le compte épargne temps seront accordés aussi aux enseignants artistiques ;
- la NBI dite « accueil » sera versée à tous les agents enseignants, fonctionnaires et contractuels ;
- toutes les heures supplémentaires seront rémunérées ;
- Le nombre d’auditions sera limité au strict nécessaire ;
- Les réunions pédagogiques n’auront lieu que pendant le temps de travail. Idem pour les visites médicales, les formations continues et les concours externes ou internes ;
- Le taux d’absentéisme toléré pour les enseignants sera le même que celui toléré pour les autres agents territoriaux, bien supérieur au nôtre, et pourtant jamais sanctionné ;
- Nous aurons droit aux ARTT, soit 4 semaines de congés supplémentaires ;
- Nous aurons droit aux mêmes pauses que les agents des autres filières : 20 minutes par jour, ce qui revient à 3 semaines de pause ;
- Nous arriverons à l’heure et quitterons notre établissement à l’heure, alors que jusqu’à présent, il fallait prévoir installation et le rangement du matériel, deux fois 15 minutes par jour, soit l’équivalent temps de 4 semaines de présence. Hé oui !
Au sujet des nombreuses réformes à apporter en vertu du principe d’équité, il appartiendra aux élus et aux cadres administratifs, dans les mois et les années qui viennent, d’accorder leurs violons. Les nôtres le sont déjà.
Branche Nationale de l’Enseignement du SNAM
avril 2011